REPORTAGE : La SNCF accélère sa révolution culturelle
FRANCE - La présidente du Medef réclame « de l'air » dans l'ouvrage qu'elle a fait paraître au Seuil cet hiver. A la SNCF, ce sont les salariés qui demandent « de l'oxygène » à leurs supérieurs hiérarchiques. C'est en tout cas le nom retenu pour baptiser le récent programme de réorganisation lancé par la direction générale de la SNCF. « Nous nous sommes rendu compte que la SNCF souffrait d'un paradoxe : l'image de l'entreprise a fortement évolué à l'extérieur, notamment vis-à-vis de nos clients, mais très peu en interne. D'où la frustration vécue par certains de nos salariés », analyse Guillaume Pépy, directeur général exécutif.
Effectivement, les efforts de la SNCF pour se moderniser ont d'abord porté sur le volet commercial et marketing, notamment pour les lignes TGV (« Les Echos » du 28 février), mais la culture interne de l'entreprise est restée marquée par un système bureaucratique. Le fait qu'il s'agisse d'une entreprise publique n'explique pas, à lui seul, cet attachement très marqué au respect des procédures et des règles. Pour Guillaume Pépy, il s'agit surtout d'une dérive de la culture de la sécurité, poussée à son extrême. « La sécurité des trains est notre priorité absolue, d'où la réputation de fiabilité dont jouit la SNCF par rapport à d'autres entreprises ferroviaires étrangères. Il ne s'agit pas de revenir là-dessus naturellement. Mais cette culture de la sécurité s'est progressivement introduite dans tous les services de l'entreprise : le commercial, la régularité, la gestion des budgets. Les salariés passent ainsi leur temps à faire des statistiques, remplir des documents, faire du reporting. Notre entreprise étouffe sous les référentiels et les normes », souligne-t-il.
Difficile cependant de changer une culture d'entreprise si solidement ancrée. La SNCF a donc pris les grands moyens : un site intranet dédié, des témoignages vidéo en ligne pour partager les bonnes pratiques, la possibilité pour les salariés de voter sur les différentes initiatives présentées. Parmi celles-ci, la lutte contre la paperasserie. Chaque collaborateur a ainsi été invité à recenser le nombre de documents qu'il remplit chaque semaine et le temps qu'il y consacre.
Pour endiguer cette spirale inflationniste, la plupart des documents administratifs ont été simplifiés, notamment la fiche d'entretien annuel d'évaluation passée de 13 à 6 pages. Même chose pour les procédures d'achats de commandes simples, type fourniture : deux étapes de validation sont nécessaires, au lieu de sept précédemment.
Au-delà de ces deux initiatives, plusieurs projets pilotes ont naturellement touché des sujets plus stratégiques pour la SNCF, tels que la régularité des trains, qui souffrait d'un cloisonnement des différents intervenants. « En cas de retard d'un train, chaque service avait tendance à se renvoyer la «patate chaude». Nous avons donc essayé de développer un esprit de coopération entre les différents agents, ceux du matériel, de la traction, du commercial train et de l'exploitation », explique Thierry Marduel, directeur de la gare Montparnasse. Dans les faits, cette coopération se traduit par une meilleure circulation de l'information (prévenir le service qui va prendre le relais que le train a tant de minutes de retard), une volonté de trouver des « boucles de rattrapage » (certaines tâches peuvent exceptionnellement se faire en gare par exemple) et des réunions plus fréquentes entre les différentes directions de la gare pour analyser les causes de retard et examiner les points d'amélioration possible. Sur Montparnasse, la ponctualité au départ a ainsi augmenté de 4 points en un an, passant de 85 % de trains à l'heure à 89 %.
Autre domaine d'intervention : les demandes d'enveloppes budgétaires. « Pour pouvoir investir dans la réfection d'un vestiaire ou l'installation d'un nouvel outillage par exemple, cela peut prendre des mois, voire des années, tellement les étapes de validation sont nombreuses et souvent embouteillées par des demandes de nature très variée. Pour y remédier, certaines études de faisabilité sont désormais externalisées, lorsqu'il s'agit de domaines non spécifiques au ferroviaire, et les dossiers sont traités en fonction des priorités et non dans leur ordre d'arrivée », explique Paul Sessego, directeur de la maintenance à Châtillon. Un pragmatisme qui paraît banal, mais qui ne semblait pas acquis à la SNCF, ou plutôt oublié, selon Bernard Aubin, secrétaire fédéral de la CFTC-transports : « Avoir ce type de réflexes, c'est du bon sens, ce sont des évidences qui faisaient partie des fondamentaux de l'entreprise il n'y a pas si longtemps. Entre-temps, la direction a transformé l'organisation des services et des gares en véritables usines à gaz. Tout est normé, et on rajoute encore une couche de formalisme, alors que c'est justement ce que l'on veut combattre. Les salariés n'ont pas besoin d'un site intranet pour leur dire comment rédiger un mail ou comment faire leur travail », note-t-il.
Non consultés par la direction sur le lancement de ce programme, les partenaires sociaux se montrent très circonspects. « On ne s'attaque pas au problème de fond. La lourdeur de notre fonctionnement est réelle, mais cette lourdeur a été mise en place par la direction elle-même. En créant des unités d'organisation par activité, il y a trois ou quatre ans, on a cloisonné le travail des agents. Chacun dépend d'un manager de proximité différent, la sécurité d'un côté, le poste d'aiguillage de l'autre, enfin les guichets. Du coup, ils ne travaillent plus ensemble, ne se parlent plus », remarque Arnaud Morvan, secrétaire général CFDT-cheminots.
Le programme « Oxygène » a cependant le mérite d'avoir posé la question du travail en termes de finalité : la qualité du service rendu au client, et non plus de procédures à respecter, ce qui dénote bien un changement de culture, comme le remarquent Olivier Devillard et Dominique Rey dans une étude qui fait justement référence à la SNCF : « Le transport ferroviaire se lit de plus en plus comme une activité de service : non plus produite de façon standard et égalitaire dans son formalisme par une armée de «rouages humains» (...) mais également coproduite en temps réel par le client lui-même avec les personnels de l'entreprise ». Une orientation qui suppose alors de laisser davantage de marges de manoeuvre aux personnes de terrain pour adapter leur action en fonction des exigences des clients. « C'est justement ce que vise le programme «Oxygène» : un management participatif qui redonne la parole aux établissements et à l'opérationnel », affirme Fabien Flauw, de la direction de l'infrastructure. Pour une entreprise plutôt familière d'un management descendant, la révolution culturelle commence d'abord à ce niveau-là.
Discipline, régularité, sécurité : la SNCF tire son excellence technique de ce triptyque. Mais un programme de modernisation veut débureaucratiser le groupe. Reste savoir comment les syndicats vivront ce changement de culture d'entreprise...
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