MANAGEMENT : Drillés aux méthodes japonaises, les CFF pourraient économiser 20%
SUISSE - Flanqué de son interprète, Hisakazu Sato avance à pas vifs de consultant dans les ateliers CFF de Bâle Dreispitz. La malle métallique, là, n'est pas rangée dans les lignes tracées par terre. «Pas Kaizen», indique-t-il, accélérant encore un peu la cadence. Au sol, justement, la propreté laisse à désirer. «Pas Kaizen non plus, même si j'ai déjà vu pire», poursuit le Japonais.
A côté de lui, Ahmed Okluoglu, responsable Kaizen pour la gestion du matériel roulant en Suisse, encaisse les coups: «L'avantage, avec Monsieur Sato, c'est qu'il est beaucoup plus direct que les consultants européens. Il met le doigt là où ça fait mal.»
Cette franchise n'empêche pas Hisakazu Sato, 48?ans - consultant chez Shingijutsu depuis huit ans et, précédemment, responsable Kaizen pendant dix ans chez un sous-traitant japonais d'électronique -, d'être extrêmement demandé. La semaine dernière, il était à Zurich; celle d'avant, en Finlande; et encore avant, à Singapour, en Inde et au Canada. «Voilà six semaines que j'ai quitté le Japon», explique-t-il. Une vie sacrifiée à courir les entreprises du monde entier pour chasser le muda, le gaspi.
Toute opération ne générant pas de la valeur ajoutée est muda. Revenir sur ses pas pour chercher un outil, par exemple, est muda. Tout comme l'accumulation de stocks ou la mauvaise synchronisation des tâches. Le Kaizen, né chez Toyota dans les années 70, entend supprimer ce superflu, grâce à l'amélioration continue. Et une fois le processus de travail amélioré, le muda éliminé, le cycle peut recommencer.
Dans l'étroite salle de réunion où des cadres CFF de toute la Suisse sont venus écouter le maître japonais, la paroi couverte de Post-it montre l'ampleur du travail qui reste à accomplir: les feuilles jaunes représentent chaque étape; les roses indiquent ce qui ne va pas. Manque de chance, les roses sont presque aussi nombreuses que les jaunes. «Les CFF ont encore beaucoup de progrès à faire, mais c'est le cas de toutes les entreprises», dit Hisakazu Sato, qui n'analyse pas seulement des processus industriels, comme ici, dans l'atelier d'entretien des wagons CFF. Le Kaizen, assure-t-il, est applicable à presque tous les domaines: hôpitaux, cabinets d'avocats, administrations, transports, etc.
Dans les ateliers CFF d'Yverdon, on s'est mis à l'heure japonaise depuis 2006. Avec Olten, c'est l'un des deux sites pionniers. Le contraste avec l'atelier de Bâle est frappant. Tout est ordré, étiqueté. Le sol est propre. Dans les tiroirs, même les plus petits boulons ont été comptés. «Un travail de dingue», avoue Maximilien Bernhard, chef productivité. Mais désormais, on est certain qu'il n'y a pas de muda. Le gaspillage lié à un stock trop important a été éliminé. Et on ne risque plus non plus d'être contraint d'attendre la livraison des pièces manquantes.
L'un des secrets du Kaizen est d'inciter les employés à participer au processus d'amélioration continue. A eux de proposer des mesures pour optimiser leur travail. Cela peut aller du changement de l'ordre d'exécution des tâches à la création d'un nouvel outil mieux adapté. Pour serrer les réducteurs des moteurs des rames ICN, Sébastien Gerber s'est par exemple rendu compte qu'il manquait une seconde clé de 19 à son poste de travail, car un collègue en avait besoin en même temps. Cela a permis de gagner 25?minutes par rame. Sur les dix-neuf rames qu'ils révisent chaque année, cela ne fait peut-être que 8?heures en tout, mais mises bout à bout, ces mesures font gagner énormément de temps.
«Au départ, il y avait un tiers de convaincus, un tiers d'hésitants et un tiers de récalcitrants», se souvient Maximilien Bernhard. Aujourd'hui, la partie semble gagnée. En 2010, 3318 mesures d'améliorations ont été appliquées à Yverdon et le tableau à l'entrée des ateliers qui tient le décompte pour 2011 affiche d'excellents résultats. Concrètement, cela s'est traduit par des gains en productivité substantiels: en 2009, il fallait encore 10?jours pour rénover un train régional. Aujourd'hui, il n'en faut plus que 8, alors que, parallèlement, la durée journalière de travail à ce poste a baissé !
Les CFF comptent bien ne pas en rester là. La méthode Kaizen sera déployée dans les autres unités de l'entreprise. Contrôleurs ou membres de la direction générale, tous y passeront. «Il est très difficile de dire combien vous allez perdre de poids si je ne sais pas combien vous pesez», explique Hisakazu Sato. «Mais gagner 20% en productivité, c'est probablement un objectif minimal et ce ne sera pas un problème pour les CFF.» Notre consultant espère d'ailleurs que ce gain en efficacité se traduira par une baisse de prix, car selon lui les voyages en train en Suisse sont «très chers».
Appliquant les recettes qui ont fait le succès de Toyota, les CFF sont partis à la chasse au gaspi. Les 28 000 employés de l'ancienne régie fédérale devront se mettre à l'amélioration continue, «Kaizen» en japonais. Pour Hisakazu Sato, dix-huit ans d'expertise dans le Kaizen, les CFF ont encore un grand potentiel d'amélioration. Il estime que 20% de gain en productivité, c'est un minimum. "Et si c'est pas Kaizen, ce sera seppuku pour tout le monde..."
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