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PASSION-TRAINS

INTERVIEW : "La SNCF est lancée dans une course de vitesse"

12 Mars 2011 , Rédigé par lexpress.fr Publié dans #INTERVIEW

logo SNCF FRANCE - "C'est le plus beau job du monde", déclarait Guillaume Pepy lors de sa nomination à la présidence de la SNCF. Trois ans plus tard, le patron du groupe ferroviaire, pin's maison épinglé au revers de la veste, a gardé l'enthousiasme des premiers jours, même si le "job" n'a rien d'une sinécure. Il fallait le voir, samedi dernier, en direct de la gare de Chambéry, pester contre les vandales qui ont paralysé le trafic et bloqué plusieurs dizaines de milliers de voyageurs.  

 

Dans son bureau parisien, à Montparnasse, entouré de maquettes de trains, ce quinquagénaire vif et chaleureux se montre tout aussi passionné pour convaincre du bien-fondé de sa stratégie. Cet impatient a lancé une série de chantiers à marche forcée pour moderniser le groupe. "Demain, dit-il, le train va être la colonne vertébrale de l'Europe des transports." Et Pepy n'entend pas rester sur le quai.  Interview :

 

Le week-end dernier encore, à l'heure du chassé-croisé des vacances, le trafic a été paralysé sur la ligne Bourg-Saint-Maurice - Chambéry, ce qui a provoqué des retards pour quelque 30 000 voyageurs. Décidément, rien ne va plus à la SNCF...

 

Ne mélangeons pas tout ! C'est un acte grave de vandalisme ou de sabotage - l'enquête le dira - dont la SNCF est victime autant que ses clients. Je suis très en colère ! 

 

Comment vivez-vous cette série d'incidents, dont vous n'êtes pas forcément responsable, mais qui se traduisent toujours de la même manière : des heures d'attente pour les passagers ?

 

J'ai un principe : la SNCF n'est jamais dans le déni, elle recherche toujours des solutions et prend des engagements pour ses clients. Ainsi, voilà trois ans, nous avions connu une série d'incidents sur les caténaires. Nous avons lancé, avec RFF [Réseau ferré de France], un plan d'actions qui, depuis, a donné de bons résultats. Tous les pays européens rencontrent ces mêmes difficultés. Nous sommes tous lancés dans une course de vitesse entre le retour du train, qui avait été trop vite condamné, et sa modernisation, qui a trop tardé. 

 

Est-ce à dire que vos prédécesseurs ont été imprévoyants ?

 

J'étais présent ces vingt dernières années... L'Europe n'a pas cru à ce retour du train. En France, il a fallu attendre le début des années 2000 pour que les investissements en direction des clients des TER repartent, et 2005 pour ce qui concerne le réseau ferroviaire. Aujourd'hui le train est devenu vital. 

 

Pour vous, il ne s'agit donc que d'une crise de croissance ?

 

Mon obsession est de mettre la SNCF au service de tous les publics, de mettre chaque client au centre. Nous devons encore accomplir un immense effort en direction des voyageurs du quotidien, ceux qui empruntent chaque jour un train de proximité. TER, RER, Transilien doivent être hissés au niveau de qualité du TGV. 

 

Dans cette mutation qui s'impose à vous, était-il opportun d'engager une réorganisation du groupe aussi rapide et profonde ?

 

L'avenir va prendre le train ! J'en suis convaincu. Demain, le train va être la colonne vertébrale de l'Europe des transports. L'adaptation d'un opérateur historique comme nous est urgentissime si nous voulons être de cette aventure. Sinon, nous resterons à quai. 

 

N'est-il pas paradoxal que la lettre de mission que vous a remise Nicolas Sarkozy le 14 février ne prévoie aucun nouvel engagement financier de la part de l'Etat ?

 

La mission de la SNCF, ce n'est pas de tendre la sébile. Si nous voulons nous développer, il faut que nos bénéfices le permettent. Maintenant, l'Etat a une responsabilité : il doit prendre les décisions concernant l'entretien du réseau et l'économie du TGV, pour que nous restions rentables. 

 

Répond-il à vos attentes ?

 

Il y a une idée reçue, c'est de dire que l'Etat est le pire des actionnaires. Pas d'accord ! Certes, ce n'est pas tous les jours facile, mais, aujourd'hui, cet actionnaire dit ce qu'il souhaite et prend ses responsabilités. L'Etat a ainsi décidé d'investir 7 milliards d'euros pour construire un nouveau réseau fret ferroviaire en France. 

 

L'Etat se trompe-t-il de stratégie en faisant du TGV un symbole politique et économique ?

 

Le TGV, c'est d'abord un succès, une fierté française, qui s'exporte. Cela répond à un désir universel des clients... 

 

... et des élus !

 

La SNCF sait ce qu'elle doit au TGV. En même temps, je milite pour que le développement des lignes à grande vitesse ne se fasse pas au détriment des lignes existantes. Surtout dans les principales agglomérations, et en particulier en Ile-de-France. Savez-vous quelle est la première ligne pour la SNCF ? C'est le RER D, avec 550 000 passagers quotidiens, juste devant le RER C. Environ 1 million de clients empruntent chaque jour ces deux lignes : plus de trois fois le nombre de clients journaliers du TGV. La SNCF, c'est d'abord l'entreprise qui exploite des RER, des TER et des Transilien. Et, sur ces réseaux, l'exigence et l'impatience des clients sont totalement légitimes. Elles sont aussi les miennes. 

 

Est-ce à dire que vous préféreriez que l'Etat renonçât à terminer le TGV Est pour investir en Ile-de-France ?

 

Je vais le dire autrement : on ne peut pas imaginer un droit de chaque ville au TGV en France. En revanche, il y a un droit au transport collectif. 

 

C'est un changement de stratégie majeur...

 

Nous étions dans le tout TGV, ce qui a pu donner le sentiment d'une SNCF à deux vitesses. Depuis trois ans, j'ai inversé les priorités, y compris en m'engageant sur davantage de fret ferroviaire écologique. 

 

Il faut mettre les clients au centre, dites-vous. Allez-vous renouveler votre politique tarifaire ?

 

La SNCF ne choisit pas ses clients. C'est notre fierté d'entreprise publique. Nous devons offrir des services pour tous et trouver des réponses pour chacun. Voilà pourquoi nous cherchons à adapter nos tarifs en fonction des clients. Ainsi, d'ici à deux ans, chacun aura son portail personnalisé sur Sncf.com. Mais nous transportons chaque jour 8,5 millions de passagers - autrement dit, l'équivalent en une semaine du trafic annuel d'Air France-KLM. Notre challenge est de faire que le transport collectif s'adapte à chacun. Le mouvement est en cours. Il implique une nouvelle révolution du service. 

 

Par exemple ?

 

En 2030, la population des plus de 75 ans en France dépassera celle des moins de 5 ans. Si on caricature, il y aura plus de fauteuils roulants que de poussettes à transporter. Il faut dès maintenant adapter les trains et les gares. Mais aussi offrir des services porte à porte. 

 

L'Etat actionnaire, ce sont aussi des individus. Comment définiriez-vous votre relation à Nicolas Sarkozy, et à Thierry Mariani, votre ministre de tutelle ?

 

L'Etat m'a fixé des objectifs précis, comme celui de préparer la SNCF à la concurrence. J'ai une certaine ancienneté dans cette entreprise et il fut un temps où il n'y avait pas d'autre directive que "Débrouillez-vous !" La dernière lettre de mission qui m'a été remise réaffirme le soutien à notre projet et à l'équipe. 

 

Il y a la ponctualité, les tarifs, il y a aussi la sécurité. Le train est le dernier transport en commun dans lequel on entre sans subir le moindre contrôle. Quand sera-t-on obligé d'arriver en avance avant de monter dans le TGV ?

 

Le dernier accident ferroviaire mortel remonte à 2006. La SNCF peut se prévaloir de cette sécurité-là. Quant aux risques d'attentats, nous avons un dispositif de surveillance plutôt efficace. 2 500 cheminots de la sûreté ferroviaire sont affectés à cette mission. Ils sont épaulés depuis cinq ans par une police des chemins de fer. Nous avons entendu l'exigence croissante de nos clients et allons doubler le nombre de caméras dans les gares et à bord des trains pour le porter à 25 000 d'ici à 2015. 

 

Compte tenu de l'essor prévisible du train, prônez-vous un retour de RFF, le gestionnaire des rails, dans le giron de la SNCF ?

 

Le système français actuel n'a pas d'avenir. Je plaide pour des idées beaucoup plus stimulantes. En réalité, l'échec collectif dans le rail, c'est l'Europe. Tout le monde dit "Eurostar, Thalys, c'est formidable", mais essayez d'aller à Vienne ou de réserver un billet en France pour vous rendre de Munich à Milan... Mieux vaut louer une voiture ! Cette situation est gravissime car le développement du rail à l'échelle européenne va vite buter sur ces archaïsmes. Aujourd'hui, une nouvelle locomotive doit être homologuée dans 27 pays ! Il faut plus d'Europe, une Europe volontaire avec un régulateur contraignant. Ensuite, il est impératif de fusionner les réseaux français et allemands. Non pas de marier la SNCF à la Deutsche Bahn, mais de "rapprocher" nos voies ferroviaires pour en faire le terrain de jeu commun de la concurrence. 

 

Votre groupe est-il prêt à affronter la compétition ?

 

L'arrivée de concurrents n'est plus un débat. C'est un fait. La bonne question, c'est de savoir si la concurrence sera loyale et équitable. Car si la SNCF était chaussée de semelles de plomb il ne faudrait pas s'étonner, demain, qu'elle perde la bataille. De ce point de vue, je me réjouis que le chef de l'Etat préconise une ouverture "dans un cadre social harmonisé". En clair : la concurrence devra s'exercer sur la qualité des services, et non sur les statuts sociaux. 

 

Les syndicats sont-ils prêts à renégocier les conditions d'emploi, par exemple ?

 

Les élections professionnelles ont lieu le 24 mars. Pour l'heure, chacun est en campagne : la CFDT compte de façon partielle les retards des trains (!), la CGT organise une campagne d'affichage sur la situation du fret... 

 

N'est-ce pas déloyal qu'ils puissent utiliser les malheurs de la SNCF pour leur campagne interne ?

 

Les cheminots sont incroyablement engagés, dans tous les sens du terme. 91 % d'entre eux se disent satisfaits de travailler à la SNCF. La contrepartie, c'est qu'ils sont tous des experts et se sentent copropriétaires de l'entreprise. 

 

Louis Gallois, un de vos prédécesseurs, disait qu'ils étaient "incroyablement revendicatifs".

 

Dès mon arrivée, je me suis fixé une ligne, dont je ne dévierai pas. A la SNCF, la négociation doit toujours rapporter plus que la grève. Pour moi, il faut être généreux dans la négociation, et intraitable en cas de conflit prolongé. 

 

Le transport ferroviaire est désormais minoritaire dans le chiffre d'affaires du groupe...

 

Cette situation reflète notre stratégie : le rail repart, mais nos autres métiers progressent encore plus vite. Pour simplifier, on adore le train, mais pas que le train. La SNCF, c'est aussi le tramway, le métro, le bus, le vélo électrique, l'auto-partage... Nous devons être l'alternative à la voiture individuelle et un expert de logistique industrielle pour les entreprises. 

 

En cas d'alternance, accepteriez-vous d'être ministre ?

 

Non, mon mandat court jusqu'en 2013. J'ai ici une lourde responsabilité, j'ai envie de l'exercer. Il reste beaucoup de choses à faire. 

 

C'est toujours "le plus beau job du monde" ?

 

C'est l'un des plus surexposés. La pression est permanente. Mais c'est aussi une entreprise unique avec laquelle les Français ont un lien affectif. Plus de 1 Français sur 2 se déclare attaché à la SNCF. Il faut voir les lettres que je reçois - une trentaine par semaine. Les clients me racontent leurs histoires : à la SNCF, ils sont chez eux, et c'est bien comme cela ! 

 

Votre salaire annuel, 250 000 euros, est bien inférieur à celui des autres grands patrons...

 

C'est un petit secret... de l'Etat ! Pour ma part, je considère que je suis très bien payé. La SNCF n'a pas l'ambition d'entrer au CAC 40 ! 

 

Justement, les niveaux de rémunération de ces dirigeants salariés vous paraissent-ils justifiés ?

 

Comme en toute chose, le tact et la mesure ne sont pas obscènes. 

 

Briguerez-vous un deuxième mandat ?

 

Nous verrons ! Dans une entreprise, c'est l'actionnaire qui en décide.  

  

 

  

Toujours enthousiaste trois ans après sa nomination à la tête de la SNCF, Guillaume Pépy a lancé une série de chantiers pour moderniser le groupe... et entend convaincre du bien-fondé de sa stratégie. Affaire à suivre... 

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